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Entretien avec Claude Schmitz

  • Bassem Branine
  • 7 févr. 2024
  • 13 min de lecture

Dernière mise à jour : 11 févr. 2024

Metteur en scène et réalisateur belge, Claude Schmitz a sorti en octobre dernier son troisième long métrage L'autre Laurens, présenté à la Quinzaine des réalisateurs du Festival de Cannes.



Le Septième : Quel est votre rapport au cinéma ? Quel a été votre ressenti lorsque vous avez fait la transition du théâtre au cinéma et pourquoi ?


Claude Schmitz : L’entrée dans le cinéma s’est faite de façon progressive. Il y a eu différentes étapes, une sorte de prolongation assez organique de choses que j’ai mises en place depuis une dizaine d’années. Il existe toute une grammaire qui s’est mise en place pour la spécificité du cinéma par rapport au théâtre, permettant de découvrir l’idée du montage, avec des éléments propres au cinéma.


Pendant 20 ans, j'ai pratiqué le théâtre de création. Il s'agit de spectacles basés sur des dramaturgies que j’écris, et je suis également responsable de la scénographie et des acteurs. Vers 2010/2011, je suis passé par un spectacle plus compliqué que je trouvais raté. Cela m’a conduit à aborder le cinéma, un médium qui m’intéressait beaucoup mais que je n’avais pas encore exploré. J’ai pris ma caméra et j’ai réuni mes amis pour réaliser des films de manière très modeste afin d'explorer cette grammaire inconnue pour moi.


Mes premiers films étaient liés au spectacle, faisant partie intégrante de celui-ci. Ils étaient projetés sur un écran, puis l’écran se levait et l’histoire se poursuivait sur scène avec les acteurs présents à l’écran et sur le plateau. Ces spectacles impliquaient les deux médiums. Ensuite, j’ai souhaité approfondir les questions cinématographiques en abordant des projets plus autonomes, indépendants du théâtre. Ces films explorent des thématiques simples, comme dans Rien sauf l’été, un court-métrage de 30 minutes sans scénario, dont l’objectif était de capturer la sensation de l'été.


Pendant cette période, j’ai rencontré quelqu'un à Poitiers, un patron de station de lavage. Il a apprécié mon travail et m’a proposé de tourner chez lui. Trouvant cette personne intéressante, j’ai accepté, mais il a financé le film. Avec un budget de 5 000 euros, nous avons tourné. L'idée était que le gérant de la station de lavage joue son propre rôle et que j'amène des acteurs pour raconter l'histoire d'individus qui le braquent, illustrant la cohabitation entre ces braqueurs et ce patron de la station de lavage. Ce film a mis en place une rencontre entre le réel et la fiction, mêlant ces personnages et le patron du carwash. Il en a résulté Braquer Poitiers, devenu un long métrage en deux parties sorti en salle, lauréat du prix Jean Vigo et diffusé en festival.


Ensuite, j’ai réalisé un autre spectacle, interrompu par le COVID. Nous avons alors décidé de l'adapter en film, car les décors étaient vides et disponibles pour nous. Cela a donné Lucie perd son cheval.


Lucie perd son cheval © RTBF et Les Films de l'autre cougar


Ces démarches hasardeuses m’ont fait passer du théâtre au cinéma. Avec le temps, le cinéma a gagné en autonomie, bien qu'il reste toujours lié au théâtre. Parallèlement, j’ai commencé à écrire le projet de L’autre Laurens, davantage orienté vers une logique de production classique, avec un scénario et des recherches de financement. Mes films étaient beaucoup plus « sauvages », réalisés à l’arrache avec de tout petits budgets. Cela m’a poussé à affronter une forme plus complexe en termes de dispositif de production et de dramaturgie, un projet beaucoup plus ambitieux.


S : Avez-vous des réalisateurs ou des cinéastes qui ont influencé votre carrière ou qui sont une source d'inspiration pour vous ?


C.S : Il y a pas mal de cinéastes qui m’ont inspiré, mais ceux qui m’ont marqué sont ceux qui, par hasard ou non, ont eu un rapport avec le théâtre. Ce sont des cinéastes comme John Cassavetes, Pier Paolo Pasolini ou encore Rainer Werner Fassbinder qui ont été pour moi les premiers à m’intéresser énormément. Il y en a d’autres également, tels que David Lynch dans sa liberté formelle et sa recherche d’une aventure cinématographique moins classique mais plutôt très aventureuse.


Aujourd’hui, il y a d’autres cinéastes qui m’intéressent comme Albert Serra. Je me reconnais dans son cinéma, dans ses façons de faire qui me plaisent beaucoup. D’ailleurs, il y a souvent un côté théâtral dans le cinéma d’Albert Serra, avec des cadres assez fixes, peu de mouvements de caméra et un rapport à la parole qui donne un aspect assez hiératique et très frontal. En général, j’ai toujours aimé les gens qui faisaient des films qui ne rentraient pas complètement dans des cases identifiées. Je pense que les personnes citées ont réalisé un cinéma absolument singulier, très loin du classique. C’est ce que je recherche et c’est vraiment ce qui m’intéresse : des recherches formelles qui questionnent le récit et la manière de raconter une histoire au cinéma. C’est ce qui me passionne.


S : Votre film en + d’être un polar a des aspects de de films ou d’œuvre audiovisuelles de série B, quelles ont été vos inspirations pour ce film ?


C.S : Il y a un peu de tout. L’autre Laurens est un film spécial dans le sens où je le perçois comme une sorte de conte, racontant à mon sens quelque chose d'assez intime pour moi. Adolescent, j'ai eu accès à des films de série B américains dans les pensionnats où je me trouvais. On nous montrait des cassettes vidéo, principalement des films de série B et de série Z américains, la plupart du temps des films d’actions ou de guerre, allant de Stallone à Schwartzenegger, ou de Chuck Norris à Steven Seagal. Ils mettaient en scène des personnages très virilistes, guerriers, ayant un rapport au monde assez particulier. Le film reprend toute une série de motifs et de figures archétypales que l'on peut retrouver dans ce type de cinéma. Ce que je voulais raconter, c’était l’effondrement et la fin de ce monde-là.


Lorsque j'avais 20 ans, il y a eu le 11 septembre et l'effondrement des tours du World Trade Center. Cela n’a pas été une compréhension immédiate pour moi, mais cela m’a fait réaliser que tous ces récits que les Américains m’avaient donnés étaient une vision du monde qui n’était pas la vérité. C'est à cette époque que j’ai commencé à développer un regard critique.


Le film raconte l’affranchissement de ce faux monde à travers cette jeune fille, Jade, qui est plus ou moins le personnage central, bien qu’elle ne soit pas la protagoniste. Son parcours ressemble au mien et montre comment cette fille, entourée de figures de pères et de récits patriarcaux comme une sorte de forêt, parvient à s’en échapper. Je parle de fusillades ou d’hélicoptère comme des motifs, à l'instar de ceux des contes (il y a d'ailleurs une histoire de couteau dans le film), avec les sorcières, des épées, évoquant un univers composé d’une mythologie appartenant aux années 80/90.


Le personnage de Jade suit le parcours que j’ai vécu, à savoir la compréhension que ce monde rempli de pères propose une vision du monde qui est fausse, et comment sortir de ces récits pour en inventer d’autres. Le film a un aspect métaphorique et allégorique bien plus important que l’intrigue de l’enquête. C’est en fait deux enquêtes : celle du film et celle de la question du genre et du genré, explorant quels sont les codes et rôles attribués aux hommes et aux femmes, et comment ce monde très codifié est en train de s’effondrer, expliquant ainsi que les personnages masculins soient vieillissants.


Le personnage de Jade, jouée par Louise Leroy © Chevaldeuxtrois et Wrong Men Productions


Le film n’est pas franchement un polar, mais joue avec différents codes et genres pour secouer tous ces morceaux de récits, de motifs et d’histoires afin de les faire imploser et pour que Jade, d'une certaine manière, trouve son affranchissement et sa libération. C’est un film sur l’héritage et donc sur l’identité. La question posée est celle de notre héritage et du récit auquel nous sommes confrontés, illustré par la montre Rolex, symbole du patriarcat, et comment s’en débarrasser pour trouver sa propre idée, qu’elle soit cinématographique ou autre.


Dans le film, tout est traité de manière plus simpliste, même les récits, il est aussi question de politique. Les films qu'on nous montrait à cette époque véhiculaient forcément une certaine mise en avant de l’impérialisme américain. Ces récits que l'on nous montrait charriaient une vision du monde. Il s'agit également de parler de la trahison des pères dans le sens le plus large du terme. Dans le film, il y a un père qui trahit sa fille et lui ment, elle croit qu'il est mort alors qu'en réalité non, et un autre arrive, son frère jumeau, et devient même le double de l'autre. Cette mécanique des pères ne fait que se reproduire, le père est pareil à l'autre, et il était nécessaire d'interrompre ce rapport de fascination au père. Il fallait montrer que Jade réalise qu'elle a été trompée par les pères et que leurs récits présentent une éducation, une image faussée où le mensonge est présent.


S : Comment c’est déroulé le tournage : quel a été votre rapport avec les acteurs ?


C.S : Le tournage s’est bien passé, c’était une aventure intense. Pour ma relation avec les acteurs, ce que je fais généralement, c’est essayer de constituer des ensembles d’acteurs hétéroclites. J’essaie d’avoir dans ma distribution des acteurs d’horizons et d’imaginaires différents, certains étant professionnels, d’autres non, pour créer une sorte de microcosme composé de personnalités assez contrastées qui apportent des textures de jeu particulières. J’ai voulu former une distribution pour ce film qui soit adaptée à des personnes ayant une expérience ou non du cinéma ou du théâtre, comme les bikers, de vrais Hells Angels de Perpignan, ou Rodolphe (Burger) qui joue l'un des deux flics accompagné de Francis (Soetens), le métalleux, que j’ai rencontré dans un bar il y a 10 ans et qui a joué dans tous mes films mais qui n'est pas un acteur de formation, Rodolphe étant également musicien. Concernant Louise (Leroy), le choix s’est fait par casting parmi plusieurs jeunes filles et elle nous a semblé la plus étonnante. Quant à Olivera Rabourdin, ayant une carrière importante, son intégration s’est faite de manière plus conventionnelle, c’est quelqu’un à qui j’ai pensé. Il y a également les acteurs espagnols qui ont été recrutés via des castings à Barcelone. Pour les Américains, je connaissais Kate Moran et pour Edwin (Gaffney) qui joue Scott, je ne le connaissais pas mais j’avais un ami réalisateur qui a déjà travaillé avec lui. Je voulais former un ensemble de personnes, chacune avec ses particularités, et parvenir à créer un groupe cohérent et fort.


Ce que je n’aime pas, ce sont les films faits avec des gens du milieu, car j’ai l’impression de voir toujours les mêmes visages, ce qui me fait perdre confiance. Je cherche à amener des personnes qui apportent quelque chose de vivant, qui véhiculent une vibration, avec des accidents dans les prises mais aussi de la vérité, là où rien n’est standardisé. C’est compliqué car le cinéma a quelque chose de conventionnel dans son fonctionnement, ce qui peut ne pas être forcément vendeur.


S : Le leitmotiv principal du film est celui du double ou du reflet, que ce soit lorsque Gabriel Laurens regarde un miroir, les tours jumelles mais également sa confrontation avec son frère. Cette thématique est exploité dans d’autres œuvres cinématographique comme Gemini Man dans lequel se trouve deux Will Smith, mais également dans la science fiction avec Alien Covenant. Qu’est ce qui vous a fasciné à travers ce motif ? Qu’est ce qui vous a fasciné à travers votre exploration sur ce motif ?


C.S : La question du double est liée à celle du miroir. La question des jumeaux ne m'intéresse pas tellement, mais c’est plutôt la question liée à l’histoire des pères. Le film vise à nous faire comprendre qu’il n’y a pas de solution à chercher chez les pères. La seule chose qu’ils vont arriver à faire, c’est de devenir identiques l’un à l’autre, et c’est ce qui m'intéressait. Le fait qu'ils deviennent les mêmes permet à Jade d’avoir une prise de conscience : il n’y a pas de solution à trouver. Elle cherchait un père de substitution chez Gabriel et elle comprend que son père l’a trahie, mais que Gabriel est pareil que son père.



Gabriel Laurens joué par Olivier Rabourdin © Chevaldeuxtrois et Wrong Men Productions


Cette idée de miroir se retrouve également dans le rapport entre les États-Unis et l’Europe, comme si la culture américaine avait en quelque sorte façonné nos imaginaires, et comment les États-Unis se retrouvent imbriqués en Europe et vice versa. Par exemple, on a utilisé cette maison blanche qui est un château et qui est une copie de la maison de Washington. On a travaillé la frontière avec l’Espagne comme une fausse frontière mexicaine, on a traité le désert que l’on voit à la fin comme une sorte de grand canyon alors que c’est en Espagne. Tous ces lieux ont d’une façon ou d’une autre un rapport avec les États-Unis. Ce motif du miroir aux alouettes, d’une chose qui est vraie mais en même temps fausse, est distillé dans tout le film, avec cette idée de comprendre où se situe la vérité et ce qui est vrai. Ce qui m’amusait, c’était que les Bikers étaient imprégnés d’une culture américaine, toute la culture de la route 66, les Harley Davidson, et en même temps, ils disent qu’ils sont chez eux alors qu'ils sont dans la culture Hells Angels, plus liée à la criminalité, etc. Même vestimentairement parlant, ils sont habillés de tout un tas d’attributs qui renvoient aux États-Unis, mais ils disent qu’ils sont chez eux, ce qui est paradoxal, alors qu’ils sont profondément américanisés dans leur manière d’être.


S : On remarque que vous avez une certaine fascination pour une période précise qui est celle du 11 septembre 2001, entre l’évocation et les images des tours jumelles ou le fait que le personnage de Scott (joué par Edwin Gaffney) soit un vétéran de la guerre en Afghanistan. Qu’est ce qui vous intéresse dans cette période marquante ?


C.S : Comme je l’avais expliqué auparavant, cet événement s’est déroulé lorsque j’avais 20 ans. Il y a eu cet attentat très marquant qui m’a fait réaliser que tout d’un coup, le monde dans lequel je vivais était plus complexe et que j’étais plus naïf auparavant. C’est pourquoi le motif du 11 septembre, avec l'histoire de ces tours qui s’effondrent, symbolise l’effondrement des récits patriarcaux et d’un monde imaginaire. Ce motif revient à plusieurs reprises car il a une dimension à la fois tragique et symbolique. Il raconte une sorte de double émasculation, comme si deux phallus s’effondraient.


S : Que signifie la scène post crédit et en quoi elle a été importante pour vous ?


C.S : J'essaie de ne pas me laisser abuser par les images qu’on me présente. Je sais toujours qu'il y a quelqu’un derrière l’histoire, mais j'apprécie les films et les œuvres en général qui me le montrent, car c’est une manière honnête de rappeler que tout cela appartient au monde du cinéma, que c’est une création. Cela suggère également que le sens du film ne réside peut-être pas uniquement dans les personnages, comme lorsque l’un des deux policiers, à un moment donné, se révèle être guitariste plutôt que policier. Il se lève et commence à jouer de la guitare, mettant ainsi en évidence les artifices du cinéma. À un autre moment, l'un des policiers déclare : "On est dans un mauvais film", ce qui nous sort véritablement de la fiction et instaure un rapport méta au film. Cela nous rappelle que le cinéma n'est qu'une fabrication, une histoire, un récit, et je suis toujours plus à l'aise lorsque l’œuvre ne cherche pas à me faire croire qu’elle représente la réalité.


Ces procédés rappellent le théâtre, où l'on brise le quatrième mur et où les personnages s'adressent directement au public. C’est un jeu subtil que j'apprécie, une façon dont le conteur se met en scène dans son histoire. Beaucoup de films de la Nouvelle Vague explorent cette remise en question du medium lui-même, une dimension que l’on a perdue. Certains peuvent être désorientés par cela, alors qu’il s’agit simplement de rappeler que ce qu’ils voient est une fiction, une allégorie, une construction artificielle qui dépasse les simples rebondissements scénaristiques. David Lynch l'a illustré avec Inland Empire, par exemple, avec une scène post-générique où les acteurs dansent. De même, Leos Carax le fait au début de Annette avec les acteurs chantant dans la rue sur le fait qu'ils vont raconter une histoire. Cela revêt une grande importance pour moi.


La dimension méta est simplement honnête, car elle révèle que tout ce que l’on voit est à la fois vrai et faux, jouant avec l'artificialité et la réalité, car ce sont de vrais corps, mais au service d'une métaphore et d'une allégorie.


Pour revenir au rôle un peu méta des deux flics, leur position de spectateur s'inspire de Shakespeare et de la structure de ses pièces. Dans ses tragédies, il y a des personnages de bouffons qui ont les mêmes problématiques que l’intrigue principale, mais présentées de manière comique, offrant ainsi un autre point de vue sur la même histoire.


S : Quels sont vos futurs projets dans le cinéma ? Souhaitez vous rester dans le domaine du polar ou souhaitez vous évoluer vers autre chose, peut être tester de nouvelles manières de mettre en scène…


C.S : J’ai plusieurs idées de projets de films. Il y en a un qui serait une sorte de spin-off sur les deux policiers du film, car l’alchimie entre eux était tellement géniale que nous ne voulions pas nous arrêter là. Nous souhaitons réaliser ce spin-off sur ces deux personnages en juin. Après avoir échoué dans leur enquête sur Laurens à Perpignan, ils se retrouvent mutés en Alsace. C’est un film où il ne se passe pas grand-chose, centré sur une histoire de vol de bijoux, et ils enquêtent mollement. J’avais envie de refaire un film très improvisé. J’ai également un autre projet de film que je dois commencer à écrire, plus complexe, mais j’en suis encore au tout début. Ce sont ces deux projets pour l’instant que je voudrais réaliser, et idéalement, nous tournerons en juin. Celui sur les deux flics sera plus simple à réaliser, car ce sera un film plus improvisé. Évidemment, cela exigera quelque chose de plus spontané, et c’est aussi quelque chose que j’apprécie faire.


S : Le cinéma est en constante évolution. Actuellement les enjeux qui sont les plus exposés sont ceux liés à l’intelligence artificiel et sa manière grandissante de s’introduire dans le monde du cinéma. Que pensez vous de cette situation, que souhaitez vous faire pour contribuer à cette adaptation dans le monde du cinéma ?


C.S : Je ne crois pas à l’asservissement du cinéma à ces nouveaux outils. Ils vont surtout servir de façon industrielle dans la production de produits encore plus standardisés. Peut-être seront-ils utilisés pour générer plus facilement des contenus, mais il existe déjà une résistance de la part des scénaristes aux États-Unis concernant ce genre de procédés. Pour l’instant, j'avoue que cela ne m'intéresse pas vraiment, car je n'utilise pas l'intelligence artificielle. J’ai déjà regardé et je trouve ça amusant, mais à ce stade, ça reste peu intéressant. Je ne doute pas que ces outils deviendront performants avec le temps, mais cela ne m’inquiète pas complètement car j'ai l'impression de faire un cinéma artisanal, ce qui me concerne moins, car je ne suis pas dans l'industrie du tout.


Pour les personnes travaillant dans l'industrie, ces outils seront probablement utilisés de manière plus concrète pour gagner du temps et de l'argent, afin de réduire le nombre de personnes travaillant sur un projet. Les choses ne disparaissent pas au profit d'autres, il s'agit plutôt d'une complexe hybridation. La véritable question est : est-ce qu’un outil a déjà complètement fait disparaître la notion d’artiste ? Jusqu’à présent, non. Je ne vois pas ce que ChatGPT pourrait apporter dans le cinéma d’Albert Serra, par exemple ; cela n’a rien à y faire. En revanche, pour ce qui est de l'aspect industriel, cela pourrait avoir un impact, notamment dans le domaine des séries télévisées. Ces outils peuvent s’appliquer aux univers relativement fermés et standardisés des séries, qui résultent souvent d'une collaboration entre plusieurs scénaristes, limitant ainsi la singularité de l’auteur.


Pour un auteur comme moi, travaillant dans sa petite chambre avec son ordinateur et cherchant à créer des objets imparfaits, je ne suis pas sûr que cela va changer grand-chose. Ces outils fonctionnent davantage avec des produits standardisés et des logiques de production scénaristiques habituelles ou sérielles. Si vous leur donnez tous les scénarios de Marvel et leur demandez d'en produire un autre, cela fonctionnera car ce sont des mécaniques similaires. En revanche, pour un scénario original et très atypique, je ne pense pas ou peut-être, que ces outils pourraient apporter des éléments merveilleux et singuliers. Ensuite, il faudra voir quelles seront les discussions dans une cinquantaine d’années. 


Propos recueillis par Bassem Branine

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