Félix Kysyl sur Miséricorde: "jouer ce rôle m’a permis de me poser des questions intéressantes. [...] Cela amène à se demander si perdre le contrôle à ce point est possible."
- Bassem Branine
- 29 janv.
- 8 min de lecture
Nous avons eu le privilège de rencontrer Félix Kysyl, nommé dans la catégorie Meilleure Révélation Masculine aux César 2025, qui s'est fait connaître du grand public grâce à son rôle de Jérémie, un jeune homme revenant dans son village natal après l'enterrement de son ancien patron, dans Miséricorde, le dernier film d'Alain Guiraudie. Nous nous sommes entretenus avec lui pour évoquer le film, sa carrière et son rapport au métier d’acteur.

Septième : Pouvez-vous nous parler de votre parcours ?
Félix Kysyl : J'ai commencé par une pièce de théâtre, où j'ai repris un rôle dans une production qui partait en tournée. C'est à partir de ce moment-là que j'ai décidé de prendre des cours de théâtre. Je suis allé à la classe libre du Cours Florent, puis j'ai passé le concours du Conservatoire National Supérieur d'Art Dramatique, que j'ai réussi. Cela m'a vraiment donné l'envie de me consacrer à ce métier. J'ai ensuite beaucoup joué au théâtre, et petit à petit, j'ai commencé à faire des tournages, en enchaînant des rôles de plus en plus importants. C'est là que j'ai rencontré Alain Guiraudie, avec qui j'ai tourné Miséricorde, avant de me lancer dans d'autres projets de films.
S : Miséricorde est donc le rôle le plus important de votre carrière ?
F.K : Oui, et c'est aussi mon premier rôle en tant que personnage principal.
S : Qu'est-ce qui vous a intéressé dans le métier d'acteur et quels sont les acteurs qui vous ont inspiré ?
F.K : Ce qui m’intéressait, c’était particulièrement les performances des acteurs. J’ai aussi baigné là-dedans car mes deux parents sont comédiens, donc c’est un univers familier pour moi. Ils m’ont aussi fait découvrir des films et des pièces de théâtre, ce qui m’a donné l’envie de m’intéresser aux performances d’acteurs et d’actrices. Par exemple, quand mon père me montrait, adolescent, des films de James Dean, il y avait quelque chose qui me poussait à m’attarder particulièrement sur lui. C’est avec la maturité, plus tard, que j’ai commencé à regarder les films dans leur entièreté. Ma mère, elle, me montrait aussi des films magnifiques avec des actrices et des acteurs exceptionnels, et tout passait vraiment par les performances.
Concernant mes acteurs et actrices préférés, je fais partie de la génération qui a admiré des figures comme Brad Pitt et Leonardo DiCaprio. Cependant, j’admire aussi d’autres acteurs, comme Jim Carrey pour ses expressions incroyables. Du côté des actrices, je dirais Kate Winslet et Cate Blanchett. Aujourd’hui, je suis particulièrement fan des acteurs irlandais, notamment Cillian Murphy, Andrew Scott ou Paul Mescal.
S : Dans quelles circonstances avez-vous rencontré Alain Guiraudie ?
F.K : Tout s’est déroulé de manière assez classique. Nous nous étions rencontrés il y a une dizaine d’années pour un autre projet qu’il n’a finalement pas réalisé, mais il s’était souvenu de moi. À la base, j’ai passé une audition pour le rôle de Vincent, joué par Jean-Baptiste Durand, mais il a finalement voulu me voir dans le rôle de Jérémie. Il m’a fait rencontrer plusieurs personnes, nous avons fait deux journées d’essais, et j’ai eu l’occasion de rencontrer toute la distribution avant qu’il ne me recrute.
S : Ça paraît incroyable qu’il ait pu se souvenir de vous après dix ans.
F.K : C’est également grâce au travail de Laetitia Goffi, la directrice de casting.
S : Lors d’un moment de questions-réponses après la projection du film dans le cinéma l'Omnia République de Rouen, vous avez mentionné que « c’est assez épuisant de jouer un assassin ». Avez-vous ressenti l’interprétation du rôle de Jérémie comme une forme de catharsis ?
F.K : Franchement, je ne pense pas que ce soit une forme de catharsis, car cela impliquerait que j’aie un désir inconscient d’être un assassin dans la vie, ce qui, heureusement, n’est pas du tout le cas. Par contre, jouer ce rôle m’a permis de me poser des questions intéressantes sur ce que j’aurais fait à sa place. Le meurtre dans le film est brutal et soudain, même s’il est précédé d’une bagarre. C’est comme un pétage de plomb. Cela amène à se demander si perdre le contrôle à ce point est possible. Bien sûr, c’est difficile à dire, car on n’est jamais réellement confronté à ce genre de situation dans la vraie vie. C’était très intéressant d’interpréter ce type de questionnement.
Il y a également quelque chose de vraiment intéressant à jouer le mensonge. C'est un vrai plaisir de manipuler cette idée de fausse vérité. On sait que le spectateur est conscient que l'on ment, et cela devient un défi d'essayer de le tromper, d'être subtil dans l'art du mensonge, en jouant sur les multiples couches de tromperie, et c’est génial.
S : C’est vrai que le meurtre dans le film semble être une pulsion. Le film nous interroge vraiment sur cette question : est-ce que céder à une pulsion, un moment donné, fait de nous un assassin ?
F.K : Bien sûr, il y a ce questionnement sur ce qui fait de quelqu’un un assassin ou un tueur aux yeux des autres. Ce n’est pas le cas de ce personnage qui n’est pas un serial killer. Mais il y a beaucoup de mystère autour de lui : on ne sait pas ce qu’il a fait dans le passé, ce qui laisse place à des interrogations. Ce meurtre reste une pulsion, alors qu’il est frappé par Vincent qui n’arrêtait pas de le harceler. Bien sûr, tout le monde ne pourrait pas en arriver à prendre une pierre et fracasser le crâne de quelqu’un. Personnellement, je ne pense pas que ça pourrait m’arriver. Mais le film parvient à faire croire à quelque chose d’accidentel, une situation où une pulsion incontrôlée prend le dessus.
S : Je vais m’attarder un instant sur le personnage de Vincent. Il passe son temps à harceler Jérémie, mais cela semble être davantage une manifestation de jalousie. Vincent est convaincu que Jérémie souhaite coucher avec sa mère. Cependant, cette obsession pourrait en réalité dissimuler son propre désir refoulé envers Jérémie.
F.K : Je suis persuadé qu’il y a un désir de Vincent envers Jérémie, c’est évident. Je pense aussi qu’il y a plusieurs formes de jalousie en jeu : une jalousie directe liée à l’idée que Jérémie pourrait vouloir coucher avec sa mère, mais aussi une jalousie plus profonde, liée à une peur de voir Jérémie prendre sa place de fils dans la maison. Il y a peut-être également une jalousie existentielle. Dès que Jérémie arrive dans le village, tout le monde semble s’intéresser à lui. Cela pourrait nourrir une jalousie généralisée envers Jérémie, perçu comme une sorte d’enfant prodige qui attire immédiatement l’attention et l’admiration.

S : Comment s’est passé le tournage ?
F.K : C’était génial et hyper agréable. Je savais qu'Alain savait exactement ce qu'il faisait, qu’il connaît parfaitement Claire Mathon, sa cheffe opératrice, ainsi que le script qu’il a élaboré avec Laurent Lunetta. Ils savent où ils vont, et on travaille vraiment en confiance. Il y avait beaucoup de blagues sur le plateau. On travaillait avec sérieux, mais sans se prendre au sérieux. Comme quoi, on peut faire des films avec une ambiance supposément lugubre de manière très saine, sans tout mélanger.
S : Dans de nombreuses interviews, vous expliquez qu'Alain Guiraudie vous dirigeait très peu. Vous avez également mentionné ailleurs que la précision est l'un des aspects les plus importants du métier d'acteur. Était-ce donc déroutant, pendant le tournage de ce film, d'être si peu, voire pas du tout, dirigé ?
F.K : Oui et non, je pense que c’est un peu pareil pour tous les tournages. Les premiers jours, on cherche à trouver un rythme sur le plateau, à installer une confiance, etc. Au début, c’était un peu déroutant, mais peut-être parce que c’était mon premier rôle principal, ce qui m’avait mis une certaine pression. Cela dit, si on m’avait trop accompagné, cela aurait peut-être encore plus augmenté cette pression. Je me serais sans doute demandé si ses remarques traduisaient un manque de confiance en moi.
En fin de compte, c’était vraiment bien, parce que moi, j’aime avoir une certaine indépendance sur les plateaux. Je savais qu’Alain savait parfaitement ce qu’il faisait, donc ça ne m’a pas trop perturbé. Et puis, sur un tournage, il n'y a pas que le réalisateur : on peut aussi observer les réactions des autres personnes présentes pour savoir si ce que l'on fait est juste ou non. Très vite, j’ai compris que si quelque chose ne convenait pas à Alain, il aurait eu l’honnêteté de me le dire. Si rien n’était dit, c’est que tout allait bien, que c’était validé.
S : Est-ce que vous pensez être le genre d’acteur qui apprécie recevoir une direction précise, ou préférez-vous avoir votre propre espace de créativité ?
F.K : J’aime qu’il y ait un dialogue et de voir de la responsabilité sur le plateau. J’aime bien arriver et savoir plus ou moins ce que je vais faire, ou en tout cas réfléchir rapidement à ce que je vais faire avec le décor, le texte, comment je vais me sentir le mieux dans ce décor et ce texte, et ce que j’ai envie de transmettre. Mais après, si on ne me dit rien, c’est l’enfer. C’est un luxe de pouvoir chercher ensemble, et j’aime cela, car quand on joue, on n’est pas un bon juge de soi-même, et on ne se rend pas toujours compte de tout ce qui se passe à l’écran. C’est donc important qu’on me dise ce qui ne va pas, ce que je dois améliorer, et qu’on affine ensemble.
S : Quels sont vos projets à venir ?
F.K : J'ai joué dans un diptyque sur le Général de Gaulle, qui commence avec l'appel du 18 juin 1940 et se termine avec la libération de Paris en 1944. Ce projet est réalisé par Antonin Baudry et produit par Pathé, dans lequel j'incarne Jean Moulin. Je trouve que c'est l'un des personnages les plus fascinants que j'ai eu l'opportunité d'étudier. Je me suis plongé dans sa vie et suis allé à Lyon pour visiter l’exposition qui lui était dédiée, j'ai lu de nombreux ouvrages à son sujet, et j'ai également échangé avec Antonin à propos de lui. C'était un personnage exceptionnel, et c'était une expérience incroyable. C'est vraiment une grande fierté de m'être immergé dans son histoire. Ce qui était particulièrement émouvant, c'était le dernier jour de tournage où nous avons filmé l'arrestation de Jean Moulin à l'endroit même où cela a eu lieu. Avant de commencer cette séquence, j'étais seul dans ma salle d'attente et j'étais profondément touché par cette scène, car elle portait une signification très forte.
J’ai également joué dans le premier long métrage d’Alice Douard, qui a remporté l'année dernière le César du meilleur court métrage pour L’Attente. Ce nouveau film, Des preuves d’amour, raconte l’histoire de deux femmes qui ont un enfant ensemble. J’y interprète un père à la maternité, sur le point d’accueillir son propre enfant. Mon rôle inclut une très belle discussion avec l’un des personnages principaux, joué par Ela Rumpf, mais il s’agit d’une simple apparition pour moi.J’ai également tourné dans le premier long métrage de Joséphine Japy, Qui brille au combat, aux côtés d’Angelina Woreth (qui joue dans Leurs enfants après eux), Mélanie Laurent, Pierre-Yves Cardinal et Sarah Pachoud. J’incarne un personnage impliqué dans une relation amoureuse toxique avec celui d’Angelina Woreth.
S : Pour faire un petit bilan, vous avez incarné un assassin, un résistant, un père et une personne toxique. C’est pas mal du tout !
F.K : On varie les plaisirs !
S : C’est d’ailleurs essentiel pour un acteur d’être éclectique dans ses rôles et d’éviter de s’enfermer dans une catégorie.
F.K : Oui, on peut rapidement s’ennuyer et perdre en qualité si l’on ne se fixe pas de nouveaux défis dans son jeu d’acteur.
S : Quels conseils donneriez-vous à de futurs acteurs ?
F.K : Il n’existe pas de recette magique pour réussir. Il faut du travail, une grande envie, et surtout de la sincérité dans votre démarche. Être acteur, c’est aussi apprendre à traverser des tempêtes, car il y en aura. Cela dit, ces défis ne sont pas quelque chose de sordide, ils font partie du métier.
Pour résumer, je dirais qu’il faut travailler avec authenticité, rester sincère dans ce que vous entreprenez et ne jamais prétendre être quelqu’un ou quelque chose que vous n’êtes pas.
Propos recueillis par Bassem Branine
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