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Monsieur Aznavour de Grand Corps Malade et Mehdi Idir : l'histoire d'un homme insatisfait

Rubens Quatrefages-Lenfant 

Dernière mise à jour : 4 déc. 2024



On a souvent décrit Charles Aznavour comme un séducteur, un amoureux, un homme comblé et heureux. Mais est-ce vraiment lui ou seulement la façade qu’il a laissé paraître toute sa vie ? La réponse de Grand Corps Malade et Mehdi Idir avec Monsieur Aznavour est sans appel : Aznavour était insatisfait jusqu’au plus profond de son être. Dans ce film, on entre dans la vie du chanteur, pas par la grande porte, celle qui brille des néons rouges ardents des salles de concert. Non, on entre par l’entrée des artistes, celle bien plus près du cœur, celle derrière la façade. Et le vrai tour de force dans tout ça, c’est de l’avoir rendu si réel, d’avoir su chercher plus loin que l’image d’un des plus grands artistes français, finalement d’avoir su trouver l’homme derrière la statue de Monsieur Aznavour.


Le film nous présente Charles, un gamin arménien, marqué par l’histoire commune d’un génocide qu’il n’a pas connu, et appelé à rencontrer le destin de la chanson. Mais le chemin est plus long qu’on ne pourrait l’imaginer. De bistrot en café-théâtre, il est cantonné à imiter d’autres chanteurs, car on le dit trop petit, avec une voix voilée et un gros nez... Mais le racisme n’arrête pas Aznavour et, par un concours de circonstances, il va faire la rencontre la plus importante de sa vie : Pierre Roche, chanteur oublié des années 40, pourtant brillant, grâce à qui Aznavour rencontre Edith Piaf,  Charles Trenet et qui lui ouvre la voie du succès encore lointain. Dans ce film ce n’est pas seulement l’histoire de l’ascension du chanteur, c’est la fresque de presque quarante ans de chanson française qui nous est racontée, des chansonniers aux rockeurs et autres yé-yé en passant par les chants des rues de Montmartre. Ce film est si complet, si bien rythmé, qu’il fait passer devant nous quatre décennies sans que nous nous en apercevions et c’est par ce tour de passe-passe que la magie opère. Par magie j’entends un travail éblouissant sur les décors, les costumes et surtout le maquillage de Tahar Rahim. Les réalisateurs nous font revenir en mémoire des souvenirs familiers de chansons d’amour emportées par la foule. Ces airs de musettes qui, pendant un instant, nous ramènent dans une paisible insouciance.


Mais tout le long du film, Charles Aznavour, joué si brillamment par Tahar Rahim, est soucieux. D’abord, chanter en duo avec Pierre Roche ou servir de sous-fifre à Edith Piaf  n’est pas suffisant pour lui : il est insatisfait. Alors il les délaisse. Et Charles commence à écrire, beaucoup, mais là encore il est insatisfait. Alors il travaille sa voix, se fait violence, se fait refaire le nez, obtient son premier gros succès à L’Alhambra mais ça ne suffit pas, il est toujours insatisfait. Forcément tout ce temps consacré à sa carrière lui fait oublier ses amis et même sa famille ce qui aggrave sa frustration. Alors il fait le tour du monde, chante tout son répertoire dans plus de cinq langues, obtient finalement le cachet de Sinatra aux États-Unis ; mais en même temps il voit tous les moments de vie qu’il n’a pas su attraper. Cette insatisfaction apparaît de différentes manières tout le long du film : l’insatisfaction professionnelle liée à un perfectionnisme trop poussé et à des producteurs frileux, l’insatisfaction familiale de ne pas être à la hauteur et enfin une insatisfaction sentimentale de ne pas trouver du repos en l’amour. En image et en mouvement, on voit l’homme déterminé se perdre dans l’illusion du succès, à cause de son insatisfaction. Une scène en particulier, attire l’attention par sa beauté technique et visuelle : un faux plan-séquence dans lequel la caméra tourne autour d’Aznavour et alterne entre scène de spectacle et scène de ménage, soulignant ainsi le fait qu’il n’obtient le succès que de manière artificielle auprès du public, tout en n’arrivant pas à trouver une vie de famille. Tahar Rahim est si proche du personnage qu’on croit voir Aznavour. Heureusement, ce n’est pas uniquement son point de vue que le film montre mais aussi l’influence du chanteur dans notre culture et celle du monde et prouve bien que son succès est sûrement immortel.


Pour conclure, un biopic tout en nuance qui nous plonge dans l’envers du décor du théâtre Aznavour et peut-être finalement vers une image plus humaine de l’artiste avec un grand A. 


Bon spectacle. 

Rubens Quatrefages-Lenfant 

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