Napoléon vu par Abel Gance : l’unique pièce d’une longue fresque
- Arsène Falampin
- 18 déc. 2024
- 4 min de lecture
681. C’est le nombre de boîtes de bobines qui composent l’entièreté des bandes pellicules utilisées pour la restauration, ou plutôt la reconstitution, du film d’Abel Gance. Un travail gigantesque qui a nécessité presque 13 ans de recherche. Pour mieux comprendre les enjeux de cette restauration je vous recommande fortement le reportage de Konbini d’une dizaine de minute sur George Mourier, le directeur de la restauration, qui revient sur toutes les contraintes et les enjeux que représente ce travail. De plus, la Cinémathèque française au mois d’avril a organisé une conférence présentée par Simon Cloquet-Laffolye, le chef d’orchestre de la musique accompagnatrice du film. Cette réorchestration passionnante et créative, lui a laissé une totale liberté à l’identité musicale accompagnant l’œuvre.
Le film est construit en deux parties, la première débutant sur l’enfance du jeune Bonaparte et la seconde partie se concluant sur sa première campagne militaire en Italie. Sept autres films étaient prévus pour relater le reste de la vie de l’Empereur, mais malheureusement Abel Gance n’a pas pu les réaliser de son vivant.
Cette construction en diptyque épouse la vision qu’a le cinéaste de Napoléon; une figure épique, de l’ambition et de la grandeur ainsi qu’un personnage majeur de son époque, pleine de réflexion et de nuance. La dimension épique du personnage se retrouve majoritairement dans la première partie, au travers de nombreux effets de mise en scène et de montage. Au contraire, la seconde partie du film prend le temps de nous présenter les enjeux et conséquences de la Révolution au moyen d’une mise en scène plus sobre, plus classique, mais tout aussi efficace. Grâce à ces moyens, Abel Gance s’intéresse à la crise sociale et économique que rencontre la France à la sortie de la monarchie. Ces éléments historiques liés à l’histoire de Napoléon auraient permis, pour les films suivants, de comprendre l’ascension du jeune corse ainsi que son évolution.

Il est évident de rappeler que le film est dans son propos, et dans sa mise en scène pro napoléonien. Sur 7 heures de film, Abel Gance glorifie les actes et les pensées du jeune corse tout en romançant certains passages de sa vie pour rendre son personnage plus tragique et épique. Avec la seconde partie, le cinéaste dresse le portrait d’un homme immature et capricieux qui se ridiculise face Joséphine, la femme dont il est amoureux. De plus, lors d’une scène dans la salle de Convention, Abel Gance met en scène les pensées d’un homme dangereux étouffé par sa mégalomanie et son ambition. Il le fait dialoguer avec les grandes figures de la révolution, et le désigne comme unique représentant de cette lutte. Cependant le découpage et la mise en scène nous montrent l’inverse : un homme seul, dialoguant avec ses fantasmes dans une salle complètement vide. Le film arrive de manière presque involontaire à dépeindre un portrait un minimum nuancé de l’empereur français.
Bien que cela ait été énormément mentionné et commenté, il est important de rappeler l’innovation apportée par Abel Gance dans ce film. Novateur à travers de nombreux effets de mise en scène et de montages, Napoléon bouscule les normes techniques de son époque, notamment lors de ses 20 dernières minutes avec un split screen en trois écrans (Polyvision). Avec cette séquence, Abel Gance s’émancipe du format de l’image 1.33, ce qui rend les scènes de bataille plus épiques, et les paysages magnifiques et poétiques.
L’innovation et l’inventivité d’Abel Gance prend aussi vie à travers son montage et ses incrustations, mariant scènes de fictions et tableaux célèbres de la révolution française, tout en mélangeant les influences et les médiums. Enfin le cinéaste expérimente de nouveau lors de la bataille de Toulon où le montage et le découpage des plans adoptent l’angoisse, l’atrocité et l’exaltation de la guerre au sein d’une séquence épileptique frôlant l’expérimental.
Malgré l’importance et la grandeur du film, on sort des sept heures de visionnage avec une légère frustration: celle de n’avoir qu’une petite partie de la grande fresque initialement pensé par Abel Gance, ne laissant qu’à notre imagination les fantasmes de ce qu’aurait pu être certaines scènes des autres films. La frustration prend de l’ampleur lorsqu’on s’imagine les innovations esthétiques qu’auraient pu proposer Abel Gance. Malgré cela, il est important de préciser que le film ne souffre pas d’amputation, il fonctionne à lui-seul, et peut être vu et apprécié en tant que tel.
Le film est actuellement disponible gratuitement sur la plateforme de France TV jusqu’au 23 décembre 2024, et présenté en deux parties d’environ 3h30 chacune, comme le souhaitait le cinéaste français à sa sortie en 1927.
Au-delà de son importance majeure dans l’histoire du cinéma, et de l’inventivité de sa mise en scène, Napoléon vu par Abel Gance est un film rare, une relique ressuscitée de l’oubli et diffusé pour la première fois dans sa version originale depuis 97 ans. Enfin il nous permet aussi de nous rendre compte du travail de reconstitution conséquent des archivistes et chercheurs, qui ont pendant plus de treize ans, travaillés pour rendre cette restauration là plus fidèle possible à la version souhaitée par Abel Gance.
Arsène Falampin
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