Particules de nuit d'Apichatpong Weerasethakul : Association(s) d'images
- Aristão de Souza Barrozo
- 27 nov. 2024
- 3 min de lecture
Dernière mise à jour : 29 déc. 2024
Exposition accessible au public jusqu'au 06 janvier 2025 au Centre Pompidou

Lorsque nous rentrons dans l’exposition, nous sommes face à une image géante, rouge, silencieuse. Nous tournons la tête à gauche, et voilà que le cadre de l’image se dédouble et s’arrondit pour nous offrir une œuvre écliptique. Puis nous avançons et les images sont désormais trois, deux d’entre elles se superposant pour parvenir à une unité plurielle, formant le film For Bruce. Plus loin, une autre image, qui se caractérise par la présence d’une Tilda Swinton perplexe. Mais elle n'est pas seule, notre vue périphérique embrassant également d’autres images qui nous attendent, au loin.
C’est ainsi que fonctionne l’exposition d’Apichatpong Weerasethakul, par une multiplication constante des films qui entourent les visiteurs. Ces films s’imposent comme seules sources de lumière dans une obscurité toujours plus grandissante, leur donnant ainsi un aspect sensoriel non négligeable pour aborder l'installation filmique. Cela fait de ces images des objets hypnotisants, berçant celles et ceux qui les regardent comme dans un rêve étrange où le temps est suspendu. La nature très contemplative de ces images n’y est pas pour rien, Weerasethakul pouvant élever avec brio l’écoulement d’un fleuve en méditation cinématographique sur la surimpression. Méditation cinématographique, c’est bien le mot, car telle est la caractéristique principale de Particules de Nuit. En effet, la multiplication des images appelle à une circulation constante du regard, qui passe sans cesse d’une image à une autre. Ainsi, lorsque le cinéaste thaïlandais en place deux côte à côte, il forme dans l’agencement de leur singularité une œuvre à part entière. De cette façon, il joue avec les yeux de son spectateur, puisque ces associations multiples réclament une interrogation sur la nature de ces images et sur le rapport qu’elles entretiennent entre elles. En faisant naviguer le regard du visiteur dans l’espace, Weerasethakul parvient à le rendre actif dans son exposition. Autrement dit, il l'amène à produire une réflexion plus approfondie sur les images dont il est témoin, et donc une réflexion à posteriori sur le comportement de son regard par rapport à ces films.

Cette interrogation constante d’une image A avec une image B reproduit donc, en quelques sortes, l’expérience intellectuelle que nous pouvons avoir devant les œuvres de grands cinéastes de l’Image comme Harun Farocki ou encore Jean-Luc Godard. Mais poussons cette réflexion plus loin : en mettant des images multiples côte à côte, en les superposant de différentes façons, en jouant avec leurs formes (aussi bien filmique que dans celle du cadre qui les accueille), Weerasethakul réussit l’exploit de créer une expérience méta-filmique. Matérialiser les images dans un espace entourant le visiteur et jouer avec leurs dispositions dans celui-ci amène le spectateur à faire une sorte de montage mental du Tout, à essayer de donner un sens à ces films oniriques qui encerclent son regard. L’ensemble imagé obtient en effet une cohérence et une continuité formelles grâce au regard du visiteur. Le spectateur traverse l’installation dans un état hypnotique, le rendant plus apte à accueillir ces images dans leur forme la plus pure. Nous sommes pris donc dans un piège filmique, destiné à nous placer hors du temps, l’absence grandissante de lumière naturelle participant à cet effet d’anachronie spatiale. En nous faisant méditer sur les choses qui nous entourent, Particules de Nuit nous propose de faire une synthèse des films qu’elle nous offre afin que l'on puisse façonner le nôtre. Les combinaisons produites constamment durant cette excursion font en sorte que nous sortons de l’exposition marqués par des dizaines d’images dont la succession et la mise en commun donnent une matière à réflexion : exactement comme lorsque nous sortons d’un film de cinéma.
Sortir de l’hypnose que constitue Particules de Nuit a ainsi un effet brusque de retour à la réalité. La sensorialité de l’expérience nourrit en effet l’intellect d’une telle façon que l’on perd pendant quelques instants les repères avec notre monde extérieur. Mais l’expérience ne se termine pas là, au contraire. La fin de l’exposition se concluant par un élément qui la relie avec le réel, nous sommes également amenés à réfléchir plus largement sur notre rapport à la nature et à l’extérieur. En effet, cela nous incline à supposer qu’ils ne constituent finalement qu’une diversité d’images uniques et multiples se mélangeant entre elles et dont on essaye de tirer un sens quelconque. Peut-être qu’en nous donnant les clés pour circuler dans un espace clos, guidés par des images de plus en plus énigmatiques, Weerasethakul nous a préparé à naviguer de la même façon dans le vaste monde extérieur.
Aristão de Souza Barrozo
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